Ce vendredi 7 juillet 2023, le tribunal judiciaire de Paris a prononcé un sursis à statuer dans l’affaire qui oppose l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) aux plateformes pornographiques. Sur le fondement d’une requête initiée en novembre 2020 par le Conseil français des associations pour les droits de l’enfant (COFRADE), l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN) et l’Union nationale des associations familiales (Unaf), l’ARCOM avait saisi le président de la juridiction pour demander le blocage de l’accès à ces sites pour adultes, auxquels des millions d’enfants ont quotidiennement accès, contrevenant ainsi à l’article 227-24 du Code pénal et à la loi no 2020-936 du 30 juillet 2020.
À l’issue d’une longue procédure judiciaire, ralentie par des manœuvres dilatoires de la part des géants du X, ces derniers ont de nouveau obtenu la clémence des magistrats, et ont gagné plusieurs mois supplémentaires pour continuer à déverser leurs contenus en toute irresponsabilité. Néanmoins, les fondements juridiques qui motivent la prorogation du jugement sont hautement critiquables, aux yeux des associations de protection de l’enfance.
Menacés par trop de liberté : l’argument burlesque des sites X
Les “tubes” pornographiques prétendent que la loi de juillet 2020 et son décret d’application ne seraient pas suffisamment clairs au sujet des exigences techniques attendues par l’ARCOM pour se conformer au droit. Ils réclament ainsi des lignes directrices et un référentiel technique pour savoir comment satisfaire au souci d’efficacité de la protection des mineurs et de la protection de la vie privée des internautes. Comble de l’hypocrisie, les “tubes” sont allés jusqu’à arguer que puisque la loi leur laissait toute latitude pour agir en faveur de la protection des internautes mineurs, en recourant aux mesures techniques de leur choix, cette liberté totale les mettait en situation d’insécurité juridique. Les sites X seraient donc menacés par… trop de liberté. C’est en tout cas ce qu’ils ont essayé de faire reconnaître devant le Conseil d’État en demandant l’annulation du décret d’application de la loi de juillet 2020.
À ce sujet, la Cour de cassation a pourtant tranché sans équivoque : les magistrats ont estimé que les termes de la loi sont “suffisamment clairs et précis pour exclure tout risque d’arbitraire” ; ce qui les a conduits a confirmé la constitutionnalité des dispositions légales en vigueur.
Il n’y a qu’une seule conclusion à en tirer : si les “tubes” pornographiques considèrent ne pas avoir les solutions techniques adéquates pour protéger les mineurs, le Code pénal et la loi de juillet 2020 leur enjoignent de ne pas faire commerce de tels contenus. Serait-ce une atteinte disproportionnée à la liberté d’information et de communication ? Non, selon la Cour de cassation : “l’atteinte portée à la liberté d’expression […] est nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif de protection des mineurs.”
Le Gouvernement à contretemps
Parallèlement à ces ergotages juridiques, M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, a annoncé la tenue de travaux pour édicter des lignes directrices et pour tester des solutions techniques de vérification de l’âge des internautes. En sus, son projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique tombe dans le piège des “tubes”, en prévoyant que l’ARCOM sera tenu de proposer un référentiel technique.
Cette tactique avait été adoptée en 2017 au Royaume-Uni, et a conduit à un véritable fiasco : faute de solutions consensuelles, les “tubes” continuent en outre-Manche leur business as usual.
Il n’en fallait pas davantage au tribunal judiciaire de Paris pour prendre prétexte de ces “constantes évolutions” et du recours administratif formé devant le Conseil d’État pour s’engouffrer dans l’opportunité de surseoir à statuer.
En résumé :
une poignée de “tubes” pornographiques, captant l’essentiel du trafic des internautes mineurs, mènent un commerce illégal au prétexte de ne pas savoir comment se conformer à la loi ;
alors que d’autres sites X se conforment sans difficulté à la loi, le Gouvernement alimente une inflation législative sur la base des arguments fournis précisément par les “tubes” mis en cause ;
la justice se fait attendre depuis près de trois ans, aux dépens des 2 millions d’enfants français qui sont exposés chaque mois à des contenus inappropriés.
Réutilisation du levier pénal
Le COFRADE et l’OPEN annoncent leur intention de relancer le volet pénal de l’affaire. En 2018, ces deux associations avaient déposé plainte devant le procureur de la République, sur le fondement de l’article 227-24 du Code pénal. Sans nouvelle de cette plainte depuis cinq ans, ces structures de protection de l’enfance déclarent leur projet de déposer plainte devant le juge d’instruction avec constitution de partie civile.
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